Histoires de familles ?
Puisqu'il semble que ces temps le sujet passionne quelques citoyens (c'est après tout en effet un sujet passionnant), je me suis dit qu'il n'était peut-être pas inutile de faire un petit survol de quelques familles de Martigny et leur histoire politique.
Comme dans de nombreuses communes en Valais, la politique de Martigny a été marquée par l'implication d'un certain nombre de familles devenues relativement fameuses. À la différence de la plupart des autres communes cependant, à Martigny — carrefour international en Valais, cité d'accueil et de métissage par excellence — il s'est agi souvent de familles récemment immigrées, en voici quelques-unes dont un membre est candidat aux élections ces jours :
LES MORAND
Savoyards arrivés à la fin du XVIIIème siècle, les Morand prennent les rênes de Martigny après la Révolution valaisanne de 1798 : la chute de l'Ancien Régime et la période qui s'ensuit (en moins de vingt ans cinq régimes se succèdent en Valais) est une échelle pour cette famille ambitieuse qui accumule les fonctions d'aubergistes et maîtres des postes.
Leur premier président, Philippe Morand, libéral entreprend les premiers grands chantiers de la commune (à l'époque la plus peuplée du canton) : au lendemain de la débâcle du Giétroz il rachète l'imposant verger ruiné des Kalbermatten et fait adopter par le Conseil communal un plan extrêmement strict destiné aux potentiels acheteurs — la « Grande Place » (aujourd'hui la Place Centrale) doit devenir la première véritable place moderne du pays, mais l'argent manque et douze ans plus tard quatre maisons à peine y ont été construites ; aucune autre n'est prévue et il faudra attendre plusieurs décennies pour que la Place se remplisse.
Contesté par le mouvement radical naissant dans les années 1830, Philippe Morand, pour maintenir son influence, doit se résigner à demander la scission du Grand Martigny et fait ériger la Ville en commune indépendante, initiant le morcellement progressif de la cité : le Bourg suit, puis la Combe, la Bâtiaz, Charrat, Trient…
Philippe Morand sera président du district, puis Conseiller d'État. Sa fille Eugénie épousera Maurice Barman, et son fils Alphonse, Jeune Suisse, se fera connaître comme rédacteur de l'Écho des Alpes (le premier journal du Valais, d'obédience radicale).
C'est pourtant du côté de ses neveux et petits-neveux qu'il faut chercher ses successeurs : Valentin, puis ses enfants Joseph et Charles, et ainsi de suite jusqu'à Marc dont le règne s'étendra de 1921 à 1960 sans discontinuer. Édouard, son successeur, est quant à lui descendant en ligne directe de Philippe (laquelle ligne n'avait plus compté aucun président en passé un siècle) — autant dire que sa candidature en 1956 est perçue comme contestataire et durement combattue par le clan de ses lointains cousins. Après son élection en 1960, il passera seize ans à la présidence de Martigny.
Les Morand ont perdu depuis leur ascendant sur la commune, et sans la candidature inattendue de Guillaume « Toto » Morand (le neveu d'Édouard) au Conseil bourgeoisial on ne les aurait certainement plus vus briguer un mandat.
LES COUCHEPIN
En 1831, l'insurrection des arbres de la liberté, surgie du Bourg, s'étend en quelques jours à la plupart des communes du Bas-Valais et le Conseil communal de Martigny démissionne sous la pression populaire. Un nouveau président est élu : c'est Pierre-Joseph Saudan, l'un des chefs du soulèvement. Il est pourtant arrêté par le gouvernement cantonal, emprisonné et privé de ses droits politiques pendant cinq ans — là-dessus un homme est désigné pour le remplacer : c'est le notaire Joseph-Gaspard Couchepin (les Couchepin seront presque tous avocats-notaires).
Alsaciens parvenus en Valais quelques décennies plus tôt, les Couchepin sont bourgeois de Martigny dès 1817 ; ils sont essentiellement actifs au niveau cantonal. Leur retour sur le devant de la scène communale s'effectue avec Pascal, qui a été président de 1985 à 1998 (date de son élection au Conseil fédéral).
Sa fille Anne-Laure est élue conseillère communale en 2008 et présidente en 2016 — elle est aujourd'hui candidate à sa réélection.
LES MARTINETTI
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, le Piémontais Joseph Martinetti arrive en Valais encore adolescent — sa famille devient bourgeoise de Martigny-Combe en 1928. Quelques décennies plus tard, elle s'illustre dans le sport, en lutte libre et lutte gréco-romaine, puis avec une entreprise de tentes.
Ensuite de la nomination de Pascal Couchepin au Conseil fédéral en 1998, Raphaël Martinetti (dit Raphy), alors conseiller communal depuis dix ans, veut se présenter à la présidence de Martigny — opposé à Pierre Crittin lors d'une primaire du parti au CERM, il doit céder la place avec 230 voix contre 806.
Son fils David, lui-même lutteur et désormais administrateur de l'entreprise familiale, est élu conseiller communal en 2008, et vice-président en 2016.
Quant à moi, il paraît aussi que je vienne d'une famille qui a quelque célébrité (quoiqu'elle me paraisse autrement modeste), et comme il en est beaucoup question ces temps je me permets de l'ajouter à la liste :
LES CONFORTI
Arrivés au début du XXème siècle, les Conforti sont d'abord connus pour leur entreprise de construction. Leur implication dans la vie politique locale commence avec la deuxième génération : Roland, qui a épousé Monique Joris (l'arrière-petite-fille du commandant Alexis Joris), est élu au Conseil communal de la Ville où il siège de 1961 à 1968. Sa belle-fille, Monique (née Besse, épouse d'Alain), a quant à elle été conseillère communale de 1985 à 1996 (ainsi que la dernière directrice de l'entreprise familiale) et César enfin, mon père, a été conseiller communal de 2000 à 2008 — il s'est présenté pour un troisième mandat, mais n'a pas été réélu.
Je ne vais pas mentir à mes lecteurs ; c'est cette non-réélection de mon père qui fait croire à d'aucuns que ma candidature au Conseil communal est une tentative de « revanche des Conforti » ! et c'est cette amusante rumeur qui motive l'écriture de ce petit billet. Or si la chose est romanesque elle est bien éloignée de la réalité, je vous dirai ce qu'il en est : bien que notre objectif principal soit le Conseil général, notre formation politique naissante a jugé qu'il était bon que nous présentions au moins un candidat à l'élection municipale afin de pouvoir apparaître dans les médias en cas de débats contradictoires (qui finalement n'auront pas lieu selon toute vraisemblance) ; j'ai ainsi consenti à me présenter parce que j'ai quelque facilité dans cet exercice, en plus d'une bonne connaissance historique de notre mouvement politique.
Pour ce qui est de l'échec de mon père, je n'avais que quinze ans alors et cet épisode m'est assez indifférent à titre personnel. À titre politique j'observe en revanche que l'élection de 2008 (la première depuis la fusion avec le parti libéral) a vu non seulement l'élimination de mon père (représentant du radicalisme historique), mais aussi d'une autre élue sortante, Dominique Delaloye (représentante du radicalisme social)… et depuis partout la ligne libérale est triomphante, alors que nous tentons précisément, nous autres Nouveaux Radicaux, à notre échelle, de relever les tendances étouffées par le parti.
À la fin, c'est donc peut-être en effet une revanche, quoique non celle d'une famille — celle d'un courant politique, le radicalisme qui après douze ans se refuse à servir encore de marchepied et de caution au prétendu libéralisme, ce radicalisme qui retrouve ses idéaux intemporels, lesquels en ont fait entre tous en Valais le mouvement humaniste et républicain :
LIBERTÉ — ÉGALITÉ — HUMANITÉ